Le peintre américain Dominic Chambers a basé son succès sur une représentation à la fois intimiste et opposée aux clichés de la communauté noire. Un pari réussi pour le jeune artiste de 28 ans.
Des personnes insouciantes dans un univers paisible, cela peut sembler anodin. Mais pour Dominic Chambers, c’est encore bien loin des représentations habituelles des personnes noires. Et il décide de faire de son œuvre celle d’une communauté apaisée.
Une success story à l’américaine
Dominic a grandi dans une famille faisant face à de grandes difficultés financières. Il trouvait néanmoins une source de réconfort dans les bibliothèques publiques de St Louis, dans le Missouri. Passionné par la littérature et le dessin, il ne se reconnait pas dans le système américain et vit une scolarité décousue. Sous pression de sa petite amie de l’époque, il rejoint le Community College de Ferguson, toujours dans le Missouri.
Ces universités publiques n’ont pas bonne réputation face aux géants de l’éducation supérieure privée. Il apprend néanmoins qu’un élève de son établissement avait réussi à décrocher une bourse pour l’illustre université de Yale. Il se décide donc à emprunter cette voie de prestige. Il réussit à être transféré à l’école d’art Milwaukee Institute of Art and Design, première étape vers Yale. Pourtant, à l’issue de cette année, il n’y ait pas admis du premier coup. Il ne se décourage pas et s’engage alors dans un programme de tutorat artistique. Avec cette expérience en poche, il rejoint l’école d’art de Yale, dont il sort diplômé en 2019. Depuis, il enchaîne les expositions outre-Atlantique.
La paix pour ses proches
Les figures dans les peintures de Dominic Chambers sont très souvent des représentations de ses proches. Amis et collègues, l’artiste s’inspire des personnes qui l’entourent au quotidien. Souvent ce sont des camarades de Yale, des artistes de ses cours d’art. Surtout, ils sont tous noirs. Chambers a à cœur de représenter cette vie intellectuelle. On les retrouve souvent dans des prairies, à l’image des grands parcs des campus renommés, dans des moments marqués par la douceur des instants de détente. Ce sont surtout des instants renforcés par l’esprit de communauté. Une sécurité renforcée par les voiles de gouttes, ou de flou, parfois par des cadres protecteurs et par l’effacement progressif du reste du paysage, comme pour protéger ses sujets du monde extérieur et maintenir la magie de l’insouciance.
Une insouciance qu’on voit rarement dans les représentations des personnes racisées. Des communautés pourtant pas exclues des domaines intellectuels ou des temps de loisirs. Mais à la lumière du mouvement Black Lives Matter, l’attention constante qu’apprennent très tôt les jeunes noirs à l’image qu’ils renvoient est plus que jamais décriée. Une attention à ne pas paraître hostile ou dangereux, puisque le biais du genre ne leur laisse que rarement le bénéfice du doute. Isolés des autres, allégés de ce poids, il offre à ces proches des instants de liberté complète.
La magie des couleurs
Dominic Chambers avoue volontiers être très influencé par la littérature, en particulier le mouvement de réalisme magique, qui se développe depuis les années 1950’s. Il parle de la découverte des écrits de l’écrivain dominicain Junot Diaz comme d’une prise de conscience. D’un univers réaliste donc, surgissent des éléments illogiques, magiques, merveilleux ou loufoques, très souvent tirés de la mythologie sud-américaine. Un glissement qu’on retrouve également chez l’artiste russe Artem Chebokha, par exemple.
Il en retire alors une capacité à représenter un trauma générationnel, mais aussi à questionner les préjugés et la masculinité par l’usage de couleurs et le jeu des perceptions, en jonglant entre représentation figurative et effet vaporeux par la matière. Entre l’usage fréquent du monochrome, du cadre et l’introduction nouvelle du voile coloré, l’esthétique de Dominic Chambers est définitivement marquée par les reliefs et le choix des teintes, en créant des univers entre surréalisme et merveilleux.
Sous l’influence de Josef Albers, peintre allemand d’avant-guerre, il use avec audace des contrastes chromatiques et joue des polychromies pour faire ressortir des impressions fortes. “La couleur est une question de relations, entièrement reliée à la perception. Pour moi, c’est une métaphore du fait d’être noir (Blackness NDLR) et comment les perceptions sont déterminantes dans les différents contextes qui influent sur cette noirceur” confie-t-il à artsy.net, en octobre 2020. Le monde extérieur est donc unifié, effacé, mystifié pour laisser place à la quiétude et laisser ses personnages noirs en paix, le temps d’un tableau.
Retrouvez l’évolution de Dominic Chambers sur son site.