Le 16 janvier 2025, le monde perd l’un des géants du cinéma. Cinéaste aux chefs-d’œuvre inoubliables, mais avant tout artiste versatile qui développe un univers tourmenté, David Lynch allait célébrer ses 79 ans ce lundi 20 janvier. En l’honneur de sa mémoire, voici une rétrospective de son art intemporel et de son labyrinthe mental.
Bizarrerie, étrangeté, trouble, bienvenue dans la boucle “lynchienne”
Ses débuts en tant que peintre
He oui, David Lynch n’a pas toujours été ce grand cinéaste que l’on connaît, car ce qui le passionnait avant tout, c’était la peinture. Lui-même se décrivait “peintre” plutôt que “réalisateur”, tant son imaginaire ne pouvait se catégoriser en une seule expression. Né à Missoula dans le Montana, David Lynch commença ses études d’arts plastiques à l’Académie des beaux-arts de Boston avant de s’inscrire à l’Académie de Pennsylvanie dans les années 1960. Dans ses œuvres, il dépeint la violence qui déborde dans tous les détails de la société et dont il s’inspire pour son esthétique singulière, suivant le courant de la tradition gothique américaine. Ses thèmes récurrents sont les femmes, la mort, le trouble de l’identité et bien d’autres que l’on retrouvera quelques années plus tard dans ses films. Malgré sa diversité, la peinture restera sa passion jusqu’à ses derniers jours. Voir notre article consacré à la peinture de David Lynch.
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Son arrivée dans le monde du septième art
Eraserhead, 1977 et Elephant Man, 1980
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S’il partait initialement vers la peinture, sa première passion, c’est en effet le cinéma qui le fera connaître par le grand public et qui impactera sa vie pendant plus de quarante années. En 1977, David Lynch s’empare du septième art, grâce à son premier long-métrage : Eraserhead, un film qui raconte l’histoire de Henry Spencer, un imprimeur solitaire et dérangé par des rêves étranges, qui voit sa vie chamboulée après un dîner chez ses anciens beaux-parents. Une œuvre hors du commun qui plonge le spectateur dans une turbulence mêlant violence, body-horror (adoucis par le noir et blanc) et innovation cinématographique pour questionner l’inconscient et la pulsion humaine.
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Trois ans plus tard, David Lynch dévoile au public Elephant Man, qui, dans sa création, ressemble au premier film : un body-horror en noir et blanc qui reprend l’histoire vraie de Joseph Carey Merrick, un homme au visage intrigant, déformé à cause d’une maladie, qui reflète une vulnérabilité insoupçonnée. Le personnage, caractérisé par ce trouble dimorphique, change de ce que l’on connaissait jusqu’ici au cinéma.
Ces œuvres marquent le lancement d’une longue quête cinématographique qui se poursuit au fil des années. Définir le genre de David Lynch est impossible, tant il les mélange. Entre films noirs, horreur, thriller, polar, comédie et surréalisme, le public crée même le terme “lynchien” pour qualifier son univers unique. Si un adjectif devait expliquer son style, ce serait onirique, car chez Lynch, la limite entre rêve et réalité est fine, voire invisible à l’œil nu.
Dune, 1984
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Dans les années 1970, un projet est né, visant l’adaptation cinématographique du roman de 1965, “Dune” de Frank Herbert. Initialement porté par Arthur Jacobs, qui a acquis les droits d’adaptation, le projet s’est interrompu suite à son décès en 1973. Plus tard, dans les années 1980, le producteur italien Dino De Laurentiis a repris le flambeau et confié la réalisation à David Lynch. Cette adaptation est devenue célèbre pour sa direction artistique singulière et son interprétation unique de l’univers de Herbert, bien que le film ait suscité des avis partagés tant de la part des critiques que des fans du livre. Entre-temps, Alejandro Jodorowsky avait tenté de lancer sa propre version de Dune dans les années 1970, un projet resté inachevé mais influent, marqué par son ambition démesurée et son équipe créative remarquable.
Ce film marque une seconde collaboration marquante : celle avec l’acteur Kyle MacLachlan, qui débute au cinéma dans le rôle du personnage principal de Paul Atreides, et qui sera à l’affiche de la grande majorité des films de Lynch.
Des paysages désertiques, tournés principalement au Mexique, permettent alors une adaptation spectaculaire.
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Cependant, la critique est dubitative, l’adaptation visuelle d’un roman n’étant pas une tâche aisée, l’audacieux réalisateur ne manque pas à l’appel : son œuvre est contestée pour la complexité narrative qui ne peut être retranscrite au cinéma.
Blue Velvet, 1986
Son monde continue de s’agrandir et Blue Velvet révèle toute la noirceur de ses productions.
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Le film s’ouvre sur la représentation de la bourgade américaine idyllique. Un quartier plaisant et calme, où les maisons blanches renferment en elles les secrets les plus sombres. Très vite, l’horreur est mise en place, et ce, par une simple oreille. La pâte lynchienne est parfaitement représentée dans cette œuvre : acteurs fidèles, scène théâtrale, une intrigue lente et minutieuse et une mystérieuse femme, la blue lady. Car oui, les femmes sont une inspiration chez Lynch, mais souvent, il représente des caractères puissants et souvent troublés.
Ce film distordu montre l’un des éléments les plus importants de la filmographie de David Lynch : les pulsions les plus sombres de la société, camouflées par une volonté de la perfection. Le tout est rythmé par la chanson mythique de Bobby Vinton, “Blue Velvet” de 1963, une reprise de la chanson de Tony Bennett de 1951.
La série Twin Peaks, 1990
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Très certainement l’œuvre la plus mythique, une série sombre qui reprend les axes centraux du réalisateur. Dans la ville de Twin Peaks, au nord-est de l’Etat de Washington, le mystère trame : un corps sans vie, emballé dans un sac et échoué sur la rive, a été retrouvé. Le shérif Harry Truman s’allie à l’agent du FBI Dale Cooper pour enquêter sur cette mystérieuse affaire. La série de deux saisons, débutée en 1990, se prolongera jusqu’en 2017 avec Twin Peaks : the returns, une troisième saison, au plus grand bonheur des fans de ce pilier de la culture pop. On en avait déjà parlé dans un top 10 des séries ayant marqué l’histoire de la télévision.
Mulholland Drive 2001
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En 2001, David Lynch exploite pleinement le thème de la quête d’identité dans son film Mulholland Drive, qui prend place dans un Hollywood tumultueux. Rita, une jeune femme devenue amnésique suite à un accident de voiture sur la route Mulholland Drive, rencontre Betty Elms, actrice débutante. Ensemble, elles tentent de retrouver l’identité et les souvenirs de Rita, mais cette quête identitaire s’annonce bien plus glaçante qu’en apparence.
Un cocktail de tragédie shakespearienne, de flou amnésique et de brouillard conjuguant rêve imaginés et réalité factuelle. David Lynch brouille les pistes et met le spectateur dans ce tourbillon d’enquête à résoudre. Il explore le conscient et l’inconscient de Sigmund Freud en canalisant les pulsions brutales de l’homme. Et c’est ce qui plaît autant lorsqu’on regarde un film de David Lynch : les narrations se représentent toujours comme des icebergs, avec une profondeur sombre et troublante dans laquelle on se noie.
Mulholland Drive, on en parlait ici.
En somme, les œuvres de David Lynch provoquent à la fois fascination et dégoût à travers des personnages caractériels et souvent questionnables sur leurs actes. Monstruosité physique, violence auditive et visuelle, rien ne nous prépare lorsqu’on regarde l’un de ses films. Le cinéma de Lynch excelle à jouer sur des apparences plutôt avenantes avant de dévoiler une réalité plus étrange, délirante et très souvent dérangeante.
Il s’adonne notamment à explorer les maladies mentales, notamment le trouble de la personnalité antisociale dans Blue Velvet ou la dépression psychotique dans Mulholland Drive.
Ses films sont reconnaissables par leur singularité et leurs éléments distinctifs : des personnages troublants, une barrière du rêve et de la réalité fragile, les scènes de théâtre, lieu voué à l’imaginaire, et la mort.
Sa carrière musicale, Comment parler de David Lynch sans parler de musique ?
La musique joue un rôle essentiel dans ses productions cinématographiques, dont il tire souvent les rênes. Présent aussi sur différents albums en collaboration avec de nombreux artistes, la pâte de David Lynch permet de créer des productions mémorables.
La musique de la série Twin Peaks, essentielle pour sa tension
Écrite et réalisée par son fidèle bras droit, Angelo Badalamenti, la musique de la série Twin Peaks est un point important auquel David Lynch a contribué, afin de sublimer les visuels et la narration.
L’album BlueBob
En 2001 sort l’album BlueBob, un opus de blues/rock industriel écrit et interprété en collaboration avec John Neff. Le duo joue l’ensemble des instruments, avec Lynch comme co-interprète, co-producteur, co-créateur des morceaux, ainsi que responsable du mixage et du design de l’album. Deux titres de cet album, Mountains Falling et Go Get Some, figurent notamment dans le film Mulholland Drive.
Sa carrière comme musicien et ses collaborations
En 2011, David Lynch dévoile son tout premier album solo, Crazy Clown Time, que nous avions déjà présenté sur BEWARE! en 2012.
Le 10 juin 2013, il dévoile sur Internet I’m Waiting Here, un morceau envoûtant interprété en duo avec Lykke Li, et dont le clip rappelle les ambiances intrigantes de ses films.
S’en suit alors de nombreuses productions : Polish Night Music en 2015 aux côtés de Marek Zebrowski, Somewhere in the Nowhere en 2016 avec Chrystabell, The Flame of Love en 2020 avec Jack Cruz, Ghost of love et Imaginary Girl en 2022 et Je te rends ton amour, un remix pour Mylène Farmer en 2024.
Cellophane Memories, son ultime chef-d’œuvre
En 2024, il signera sa dernière collaboration aux côtés, une nouvelle fois, de Chrystabell. Un album de 10 titres qui vous offrira un voyage réconfortant.
Il est certain que le monde n’oubliera pas David Lynch, et il manquera à la scène cinématographique comme un vide qui ne peut être comblé.
Si cet article vous a plu, nous vous conseillons de lire celui sur Tania Franco Klein, photographe s’inspirant de l’univers de David Lynch.
source illustration : wikipedia