L’américain Cleon Peterson a fait de la lutte des pouvoirs entre corps entremêlés sa signature. Avec un regard incisif il décode les rapports sociaux, sans jamais avoir peur de provoquer le malaise.
Aussi bien en peinture qu’en sculpture, la lutte de pouvoir obsède Cleon Peterson. L’artiste américain développe tout au long de sa carrière une réflexion sur la violence dans les liens humains.
Le corps à corps
L’un contre l’autre
Sans manquer de rappeler les urnes grecques, les personnages qui peuplent les productions de Cleon Peterson reproduisent des scènes de luttes. Ses humanoïdes se mélangent sur des toiles minimalistes, bicolores en général, dans des études de la violence qui se veulent objectives. Le regard est centré sur l’oppression, la mort est omniprésente. Les figures se ressemblent et ne se distinguent que par la couleur, qui elle-même se confond avec le fond et les lignes. En filigrane, cette interchangeabilité des rôles note la nature aléatoire des rapports de force.
Une philosophie de l’affrontement
Les influences philosophiques de l’artiste sont perceptibles. L’expérience de la prison de Stanford, par exemple, est une inspiration presque palpable. Les personnages cèdent à une violence de groupe, justifiée uniquement par la construction d’un “autre”. “L’ombre” de Carl Jung se reflète également dans les œuvres : la partie sombre complète la lumineuse, une partie sombre qui porte en elle les instincts primitifs et anti-sociaux. La lutte pour la reconnaissance enfin, se fait également percevoir. À l’image de la conscience de soi théorisée par Hegel, les individus se définissent dans un combat à mort qui cristallise en elle la nature de l’humanité.
Des influences profondément contemplatives, qui portent un travail créatif tout aussi réflexif. La nature humaine, dans sa violence, dans ses instincts de mort, est donnée nue, sans filtre. Des constructions qui ne manquent pas de rappeler certains travaux d’Ernest Pignon-Ernest.
La critique sociétale
L’oppression policière
La lutte philosophique est donc centrale dans le travail de Cleon Peterson. Mais il applique aussi son analyse à la société dans laquelle il évolue. En témoigne le travail de son exposition “Blood and Soil” (Le sang et le terreau, NDLR) 2018. Développement d’une réflexion initiée en 2014 dans l’exposition “End of Days” (La fin des temps, NDLR), il applique désormais son étude de la brutalité à la violence policière.
L’actualité de la violence sociale devient la nouvelle matière de réflexion. Et le sujet étant d’une nature différente, le prisme créatif est donc légèrement déplacé. L’objectivité n’est plus de mise et les œuvres sont désormais ouvertement critiques. Exit l’étude en noir et blanc de la complémentarité dans la violence humaine, le rouge et le noir forment cette nouvelle dualité.
La lutte politique
Bien sûr, la politique n’est pas en reste. Avec le climat politique des élections américaines, l’observation de l’artiste est toujours plus cinglante. Reprenant les codes de la propagande des états autoritaires, il dresse une satire d’un cirque électoral en parodie sombre de la démocratie. `
Et si les affections intellectuelles de l’artiste sont visibles, c’est bien le despotisme doux de Tocqueville qui est illustré ici. La domination invisible du système capitaliste et la campagne grotesque ont donc eu droit à un traitement privilégié, jusque dans le choix des couleurs. C’est désormais le jaune qui domine, couleur inattendue qui provoque presque le malaise.
Retrouvez le travail de Cleon Peterson sur Instagram et sur son site.